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"Mon corps est en Corée du Sud, mais mon esprit est dans mon pays natal" : le blues des réfugiés nord-coréens

Selon l'enquête d'une ONG, près d'un quart des réfugiés nord-coréens en Corée du Sud souhaiteraient repartir au Nord. franceinfo les a rencontrés.

Article rédigé par Benjamin Illy
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Kwon Chol-Nam, un réfugié nord-coréen de 45 ans, ici chez lui en février 2018, dans un quartier populaire de Séoul (BENJAMIN ILLY / RADIO FRANCE)

Leur parole est rare. Leur "blues", d'autant plus méconnu. On compte aujourd'hui 31 000 Nord-Coréens réfugiés au Sud. Selon une enquête, publiée en janvier par l'ONG Database center for North Korean human rights, auprès de 415 réfugiés, près de 23 % d'entre eux disent vouloir repartir en Corée du Nord. Le plus souvent, c'est pour retrouver leur famille, mais il y a aussi le mal du pays.

Alors que les Jeux olympiques d'hiver entrent dans leur ultime semaine dans la station sud-coréenne de Pyeongchang et que les signes de détente entre les deux Corées se multiplient, des hommes et des femmes réfugiés à Séoul ont raconté à franceinfo leur difficile adaptation à la société sud-coréenne, mais aussi les discriminations dont ils sont victimes. 

A la rencontre de réfugiés nord-coréens qui ont le mal du pays : un reportage de Benjamin Illy

Séoul est une mégapole de 10 millions d'habitant et symbole d'une société capitaliste très compétitive qui abrite les sièges sociaux des grandes multinationales sud-coréennes, comme Samsung, LG, Hyundai Motors. Ici, le métro est bondé. La foule pressée et la K-pop (pop coréenne) est crachée à chaque coin de rue par les haut-parleurs des magasins. Pour ceux qui vivaient derrière la zone démilitarisée (DMZ), dernier vestige du rideau de fer, c'est souvent un choc à l'arrivée.

Hyang, 26 ans, vit dans un quartier résidentiel de la capitale. Elle nous reçoit en toute discrétion. On ne connaîtra pas son nom de famille car elle veut garder l'anonymat pour la sécurité de sa famille éloignée et restée au Nord. Hyang est arrivée de Corée du Nord en 2009 avec ses proches. Elle se souvient d'un voyage éprouvant : quatre mois sur les routes, un fleuve à traverser pour rejoindre la Chine, des semaines dans un camp de rétention au Laos puis la Birmanie, la Thaïlande et, enfin, Séoul.

Chute sociale et discrimination

La jeune femme a démarré une nouvelle vie : elle sera bientôt diplômée en chimie biomoléculaire. Mais, les débuts ont été difficiles. "Après notre arrivée, je n’ai pas adressé la parole à mon père pendant un an, confie-t-elle. Au Nord, j’étais la meilleure élève à l’école et je considérais que tout allait bien dans ma vie."

Ici, j’ai touché le fond. Je devais tout recommencer à zéro. Je suis devenue quelqu’un d’insignifiant. 

Hyang, 26 ans, réfugiée nord-coréenne

à franceinfo

"J’en voulais à mon père. Je lui demandais tout le temps pourquoi il nous avait fait venir ici !", raconte-t-elle encore. Hyang affirme avoir subi des discriminations et s'être sentie "blessée". Elle raconte qu'un jour, quelqu'un lui a assuré que les Sud-Coréens devaient payer beaucoup d'impôts à cause des réfugiés qu'il fallait entretenir. Elle a aussi connue des discriminations dans le monde professionnel. "Quand je me suis mise à chercher un travail à temps partiel et que je disais que je venais du Nord, les employeurs préféraient toujours les Sud-Coréens", dit la jeune femme.

Une "dictature invisible"

Chez Hyang, on trouve un peu partout des autocollants "Liberty in North Korea" ("liberté en Corée du Nord", en français). C'est son slogan. "En Corée du Nord, on est tellement habitué qu’on ne ressent pas la nécessité de la liberté, explique-t-elle. Depuis qu’on est né, on vit sans connaître la liberté, alors on se pose pas la question... À moins d'être emprisonné dans un camp de concentration." À l'inverse, "on dit que la société sud-coréenne est libre, mais, ici aussi, il existe une sorte de dictature invisible, affirme Hyang. Quand on arrive à un certain âge, il faut entrer à l’université, il faut se marier. Les gens se jugent et font trop attention au regard des autres.

D'une certaine façon, cette société sud-coréenne n'est pas si libre que ça.

Hyang, 26 ans, réfugiée nord-coréenne

à franceinfo

Même si elle se dit "très heureuse" et "satisfaite" à Séoul aujourd'hui, Hyang "comprend" ceux qui veulent repartir au Nord. "Vous savez, ma génération peut s’adapter plus facilement à cette société, explique la jeune femme qui a appris l'anglais au Nord et peut donc communiquer facilement. Mais, pour ma mère, c’était un environnement complètement inconnu : elle abandonne sa vie au Nord et, tout à coup, elle se retrouve à faire la vaisselle dans les restaurants et à nettoyer les toilettes chez les autres. C’est compréhensible que des gens comme ma mère se demandent pourquoi ils sont partis."

Faire le chemin inverse

Kwon Chol-nam, lui aussi, est un réfugié nord-coréen. Cet homme de 45 ans habite dans un quartier populaire de Séoul et occupe un appartement prêté par la municipalité. En 2014, en pleine crise conjugale et en manque d'argent, il décide de quitter le Nord en laissant sa famille sur place. Une fois arrivé au Sud, les autorités lui ont demandé d'abandonner la nationalité nord-coréenne. Lui qui comptait rester quelques mois, se retrouve bloqué là. 

Dans son studio de 10 m2, avec un matelas au sol, quelques affaires et une minuscule cuisine, Kwon Chol-nam regrette son pays natal. Cet homme plutôt souriant repasse en boucle le discours de Kim Jong-un, le dirigeant nord-coréen, lors de la grande parade militaire organisée à Pyongyang, à la veille de la cérémonie d'ouverture des JO. "C'est le plus grand leader de ce monde !, lance-t-il. Je suis fier que la Corée du Nord s’impose comme un pays à part entière malgré sa petite taille. Cette année, c'est le 70e anniversaire de la création de l'armée populaire. Je suis loin de chez moi, mais cela ne m’empêche pas de me sentir fier du développement extraordinaire de notre arme nucléaire."

Modeste au Nord, pauvre au Sud

En Corée du Nord, auparavant, Kwon Chol-nam était vendeur d'herbes médicinales. Il menait une existence modeste, mais ici, en Corée du Sud, il vit complètement isolé, sans ami ni emploi durable. Il estime qu'il n'est plus rien. "La mère patrie me manque. Tout ce que je veux, c'est rentrer !, lance l'hommeRegardez ce que je suis devenu. Je dois avoir 27 000 wons sur moi [environ 20 euros]. C'est tout ce que j'ai. C'est ça, la réalité pour les réfugiés nord-coréens."

Ma vie actuelle est moins bien que celle que j'avais au Nord. Je veux retourner dans mon pays natal. J'ai fait un mauvais choix en venant ici !

Kwon Chol-nam, 45 ans, réfugié nord-coréen

à franceinfo

"Les Sud-Coréens prennent tous les emplois de qualité et, pour les réfugiés nord-coréens, il ne reste que des boulots pénibles, assure encore Kwon Chol-nam. Ceux-ci gagnent à peine leur vie en travaillant sur les chantiers. Mon corps est en Corée du Sud, mais tout mon esprit est dans mon pays natal."

"Vous savez les réfugiés ne parlent pas de tout ça en public, mais beaucoup pensent comme moi, affirme-t-il. La vie de tous les réfugiés nord-coréens est dure comme la mienne."

Soupçonné d'espionnage

"Ici au Sud, si je dis du bien de la Corée du Nord, on me traite avec mépris comme si j'étais un fanatique pro-régime. On a des préjugés sur moi, alors que nous faisons partie d'un même peuple !"

Pour trouver un emploi et se faire des amis, il faut dénigrer la Corée du Nord en disant qu'elle viole les Droits de l'homme.

Kwon Chol-nam, 45 ans, réfugié nord-coréen

à franceinfo

Kwon Chol-nam refuse et cela lui vaut des ennuis. Soupçonné d'espionnage, il a fait l'objet de plusieurs enquêtes de la police sud-coréenne. En 2016, il est arrêté et interrogé avant d'être libéré, faute de preuve. "Au Nord, ce qu'on m'a appris pendant 40 ans, c'est que les Sud-Coréens ne sont pas nos ennemis, mais notre peuple. Mais au Sud, les gens croient que la Corée du Nord est l'ennemi et que les États-Unis sont leur frère de sang, dit-il. Ce n'est pas vrai !"

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